Ce que vous avez fait avant la disparition des adultes : Moi, je m'appelle Nenoko Ayugai, j'ai 7 ans et une année de plus tous les 17 janvier. Mon papa, il s'appelle Kazuto Ayugai et il travaille à l'université Lancaster. Et ma maman, elle, eh ben elle reste à la maison pour me garder, moi et mon petit frère Masahiro. Lui, il a 3 ans. Je l'aime bien, il est trop chou avec ses petites joues roses et ses jolis yeux verts. Il a tout ça de mon papa. Moi, je ressemble un peu aux deux! Les cheveux noirs de papa, et les yeux bleus de maman.
Depuis que j'ai l'âge d'aller à l'école, je suis inscrite à Lancaster. J'ai pleins d'amis, surtout des garçons. C'est surtout parce que les filles, elles se prennent troooop la tête... Et pis les garçons, quand t'as des embrouilles, elles sont vites réglées! Un jour, y en a même un qui m'a offert une super batte de base-ball! Quand je l'aie montrée à maman, elle était toute contente, et elle m'a dit : "Tu feras pas de bêtises, hein?" Mais je savais qu'elle parlait pas de la batte...
Et puis, un jour, je me suis réveillée toute seule... (je n'ai pas de réveille, c'est maman qui vient me dire coucou le matin en me câlinant gentiment). J'ai ouvert les rideaux et pis j'ai vu que le soleil était déjà tout là-haut dans le ciel! Après, m'être habillée vitesse grand V, j'ai couru à la cuisine : 10h55!! J'ai rapidement avalé un bol de céréales, et je suis partie à l'école (sans oublier de me brosser les dents et prendre mon sac). Et quand je suis arrivée dans les couloirs, y avait plein de monde! Ils étaient tous affolés, certains pleuraient, d'autres criaient à l'aide. J'ai demandé à un de mes amis un peu plus calme ce qu'il se passait, et là : "Les adultes ont tous disparus".
Ce que vous avez fait pendant le mois suivant la disparition des adultes : On était tous entassés comme des chaussettes sales dans les couloirs, on essayait de se rassurer mais après deux jours, on a vite compris que ça n'allait pas s'arranger. J'étais allée chercher mon petit frère, et il était resté avec nous durant ces deux jours interminables. Il avait faim. Nous aussi, on avait tous la dalle. Des grands nous avait rejoint, nous expliquaient des trucs, et je comprenais rien... J'avais pas envie de comprendre. Maman me manquait, j'avais faim, froid et soif. Les autres s'activaient mais moi et Masa, on était perdus dans notre coin. J'avais l'impression que toute la solitude qui m'avait toujours ignorée me retombait dessus d'un coup. Je me persuadais que mes parents allaient revenir, que maman allait nous serrer dans ses bras... Mais tout ça était faux, ce n'était que de fausses promesses sans intérêt qui ne me rassurait pas. Au contraire, je ne pensais qu'à eux, et à rien d'autre. Je suis retournée dans ma maison, un jour. Avec mon frère. La porte était fracassée, tous les meubles étaient éventrés comme des plaies ouvertes. Dans le frigo, il n'y avait plus rien, à part une brique de lait périmé, et dans un des placards il restait une boite de cacao dont le couvercle était enlevé qui se vidait par terre, comme un sablier. Masahiro avait commencé à pleurer, je n'ai pas hésité une seconde à l'accompagner. Je suis allée voir dans ma chambre : elle était comme je l'avais laissé, sauf qu'un homme de grande taille se tenait au milieu, avec un flingue à la main, et une photo de ma famille dans l'autre. Il la regardait l'air triste, mélancolique. J'étais pétrifiée, je n'osais pas faire de bruit. Pas un seul. Mais mon frère continuait de pleurer derrière moi. Plus doucement, cependant. Mais quand il a vu le monsieur, il a eut un hoquet, fort qui a résonné (et résonne encore dans mes oreilles). L'homme, dans un sursaut, a lâché la photo, et a tiré. Il m'a raté, mais a touché Masahiro. En pleine tête. Le temps que le corps de Masa tombe, le garçon était parti, avait sauté par la fenêtre. Sous le choc, je n'ai pas tout de suite compris que mes pieds trempaient dans le sang de mon petit frère. Ses yeux me fixaient, dans un élan d'horreur. Une horreur infinie, qui me transperçait jusqu'à l'âme. J'avais l'impression que ma vie s'arrêtait. Je suis tombée à genou, et j'ai pleuré, pleuré et encore pleuré, jusqu'à la nuit, même le matin, je tenais les petites mains fragiles et pleines de sang de mon frère. J'avais tellement pleuré que j'avais l'impression d'être vide. Que ma vie était vide. Que mon âme était vide. Mais le pire... que mon cœur était désormais vide. Il n'y avait personne qu'il pouvait encore accueillir. Personne qu'il pourrait aimé. Il ne pouvait plus...
Le soir, je m'étais relevée, je n'avais presque plus de force. Le froid me glaçait les os. J'ai soulevé Masahiro et je l'ai porté jusqu'à sa chambre. Je l'ai couché dans son lit, lui ai mis sa couverture jusque sous son cou puis j'ai fermé ses jolis yeux verts. Avant de s'endormir pour toujours, je lui ai chanté une berceuse. :
Ferme tes jolis yeux
Car les heures sont brèves
Au pays merveilleux
Au doux pays des rêves
Ferme tes jolis yeux
Car tout n'est que mensonge
Le bonheur est un songe
Ferme tes jolis yeux
Et après ça, je suis partie à Lancaster en emportant avec moi une seule chose : une batte de base-ball, seul souvenir que je me suis promis de garder avec moi pour toujours.