Ce que vous avez fait avant la disparition des adultes : Ma vie avant la disparition des adultes? Un vrai ENFER! Pourquoi? Et bien tout simplement parce que je suis née fille… Hai hai,  nous ne sommes plus dans l’ère féodale, allez répétez ceci à mon grand-père et il vous enverra bouffer les pissenlits par les racines ! Je suis malheureusement l’héritière du Kashiwabara-kai qui n’est autre que le clan de yakuzas le plus influent dans Akashiki. Et comme ce n’était pas suffisant d’être une onna en devenir, on m’a diagnostiquée à mes quatre ans une étrange maladie: l’analgésie congénitale. J’étais incapable d’éprouver la moindre douleur physique. Cool? Détrompez-vous! L’exercice physique m’était interdit, je devais faire attention tout le temps à ne pas me blesser, vérifier ma température deux fois par jour, même la mastication et le brossage de dents étaient des activités qui acquéraient toute ma concentration, sans oublier une consultation médicale hebdomadaire obligatoire. Mes parents ont donc caché la honte ambulante du clan des regards étrangers en espérant avoir bientôt un héritier mâle… Mais le destin avait d’autres projets pour eux, ou plutôt n’en avait aucun: ils décédèrent vers mes cinq ans dans un «soi-disant» accident de voiture et je suis devenue alors l’héritière la plus directe du clan pour le grand malheur d’Oyabun.
Plusieurs membres désapprouvent mon statut et certains convoitent secrètement la position du patriarche et ne lésinent pas sur les manigances et les intrigues mais je n’abandonne pas, parce qu’avant tout je suis une Kashiwabara…
Contre toute attente, ce fut ma maladie qui me permit de me faire accepter petit à petit au sein du clan. Oyabun, grand manipulateur et excellent stratège, se servit de la cérémonie d’intronisation de nouvelles recrues pour m’ordonner de me soumettre à l’Irezumi, c'est-à-dire la tradition du tatouage, j’avais alors dix ans. Et juste avant de passer deux heures à subir l’acharnement de l’artiste avec ses aiguilles sur ma pauvre nuque d’enfant, Oyabun ajouta :
Je savais très bien ce qu’il voulait dire par le doigt mort, je n’avais aucune intention de perdre l’usage de mon petit doigt mais surtout je n’avais pas compris pourquoi je pourrais pleurer. Au final, Oyabun était satisfait, les membres présents impressionnés et moi, j’étais fière de mon tatouage de dragon!
Je sortais rarement, j’étudiais chez moi, Oyabun me payait des précepteurs et des instructeurs, censés m’apprendre les secrets de la politique, de la gestion et de l’économie pour me préparer à diriger les Kigyo Shatei, ou si vous préférez les sociétés et entreprises écran qui servaient de façade légale au Kashiwabara-kai. Les diplômes et certificats d’études n’étaient qu’une simple formalité qui serait facilement réglée au moyen de pots-de-vin. Tout ce qui comptait aux yeux d’Oyabun, c’était que je maîtriserai les compétences nécessaires pour le seconder et donc, je n’avais pas à subir le système de l’éducation nationale.
Les années s’égrenèrent en blanchissement d’argent, trafic d’armes et de drogue, industrie des eaux et du sexe, organisation de jeux et de paris et respect du Ninkyodo, notre code d’honneur. Toujours froide et impassible, j’essayais de survivre et d’évoluer dans ce monde violent en restant discrète et distante. Pour me défendre, je me mis à apprendre l’utilisation de petites armes à feu et à courir sur mon tapis de course deux heures par jour pour améliorer mon endurance, toujours sous surveillance médicale.
Mais tout ceci n’était qu’un gros mensonge. Maintenant que j’y pense, je mériterai amplement l’award de la meilleure actrice. Pour vous dire la vérité, je suis la plus grosse froussarde qui puisse exister, je déteste ce milieu écœurant de toutes mes forces. Je passe mes soirées à travailler mes poses et mon attitude devant les autres membres, je prépare même mes répliques, je m’entraîne à garder mon sang-froid dans toutes les circonstances devant ma glace. Et quand j’ai dû appuyer sur la détente pour la première fois, j’ai dû faire des cauchemars durant tout un mois avant de me réveiller et d’aller vomir mes tripes le reste de la nuit. Je suis une passionnée du cinéma, je passe mon temps libre à regarder des dramas, des films et à lire des mangas non stop, parfois même à faire des nuits blanches, pour le lendemain faire semblant que j’avais passé ma soirée à éplucher les comptes. Je suis curieuse de savoir à quoi ressemble une vie d’ado ordinaire et j’essaie d’en savoir le plus possible au moyen des médias et des show-reality. Sans oublier que je suis paranoïaque au sujet de ma santé et que je harcèle mon médecin personnel chaque jour. Excepté les petits joujoux à balles, je suis une grande maladroite, mon corps ignore la notion de discrétion, et par conséquent, je me dois de garder un air digne si je ne veux pas me faire ridiculiser. Ah! Et je n’ai jamais eu d’ami, enfin quelqu’un dont on ne se méfie pas et qui ne fait pas partie d’une hiérarchie. D’ailleurs, à quoi cela pourrait servir?!



Ce que vous avez fait pendant le mois suivant la disparition des adultes : Je m’étais réveillée à l’aube, comme d’habitude, et après m’être douchée et habillée, je suis allée présenter mes respects à Oyabun dans la salle de méditation. Mais ce dernier ne s’y trouvait pas, et j’ai du frôler l’arrêt cardiaque, enfin je le suppose, à la pensée que mon grand-père était mort et que je devais hériter de toutes ses responsabilités. Après un moment d’hésitation et quelques heures de frustration à appeler mon médecin en vain, je me suis aventurée dans les rues où régnait une consternation totale et j’ai compris en traînant un peu les oreilles au fil des discussions et des pleurnicheries que les adultes avaient disparu. Ma réaction ? Evidemment, je suis allée fêter l’événement comme il se doit dans l’un des karaoké-bars du clan. Plus d’Oyabun sociopathe, plus de clans rivaux, plus d’uniformes ridicules décidés à me mettre en taule, plus de traîtres qui n’attendaient que le moment opportun pour m’assassiner… La vie pourrait-elle être plus merveilleuse ?
Ensuite, après deux jours de beuverie, je me suis décidée à mettre mon plan de survie en exécution. Quoi encore ? Vous n’avez jamais pris le temps de prévoir un plan de secours au cas où la Terre se ferait attaquer par des Aliens, des zombies, ou encore en cas de catastrophes naturelles ? Et bien, tant pis pour vous… D’abord, les planques, et oui, ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier ! Ensuite, les antibiotiques, les antipyrétiques et autres médicaments qui ne tarderont pas à se faire rares, puis la nourriture, et surtout des vitamines, vu que mes talents de cuisinière sont… euh… inexistants, je me suis concentrée donc le reste de la première semaine à remplir des sacs de nouilles instantanées et de bouteilles d’eau puis de les planquer partout dans la ville dans des lieux discrets et différents. Et pour finir, les armes, qui arigato au clan ne manquaient pas au manoir où je vivais, je dus donc les répartir à leur tour dans divers endroits, déjà que je n’ai jamais appris à me battre et que la protection de ma personne était déléguée à mes gardes du corps, il me fallait donc être très prudente et ne pas négliger le seul moyen de défense que je connaissais.
Mais, je finis vite par déchanter… Les gamins en folie hormonale se déchainaient partout, des vols, des meurtres, des viols, de la drogue, de la prostitution. C’était en somme la loi de la jungle. Rien d’inhabituel dans ma vie mais quand je pensais qu’enfin, j’aurais un peu de calme dans mon existence… Pourquoi le sort s’acharne-t-il ainsi sur moi ? Pourquoi ? POURQUOI ? *Air dramatique*
Où en étais-je ? Ah, oui, l’anarchie. Les rues étaient devenues invivables. J’eus même droit à une tentative de viol ! Bien sûr, j’ai poliment répliqué par une balle en pleine tête, puis je me suis coupé les cheveux et depuis, je porte des vêtements amples et en loques et je me fais passer pour un garçon. La deuxième semaine, et pendant que des clans se formaient un peu partout (je n’avais pas encore fini de « détraumatiser » de ma vie de yakuza, voilà que ces idiots venaient en rajouter une couche avec leurs clans), je me suis efforcée d’apprendre à conduire, d’abord parce que c’était marrant et ensuite parce que c’est plus économe de foncer dans le tas que de gaspiller mes précieuses munitions ! L’idée de rejoindre un clan ne m’a pas traversé l’esprit, même pas une fraction de seconde, je ne savais comment interagir avec quelqu’un de mon âge et puis pourquoi me fatiguer à lutter quand je pourrais rejoindre lâchement le clan vainqueur vers la fin  (si victoire il y’avait) ? Non je préfère ma vie de solitaire, et puis à cause de ces maudits clans et de leur distribution territoriale, j’ai perdu l’accès à nombreux de mes « précieuses » *dit sur un ton gollumal* planques…
Avec la troisième semaine, oppressée par l’ennui, j’ai finalement trouvé une intéressante occupation : fossoyeuse. Mais pour les autres, je suis connue comme « Le Fossoyeur ». Je garde toujours ma capuche et ma bavette médicale lorsque je viens à la pêche des cadavres avec ma camionnette. La plupart du temps, on me laisse tranquille et je n’hésite pas à tirer au moindre dérangement. Rassurez-vous, l’altruisme ne fait pas partie de mes motivations. En fait, ma paranoïa m’a obligée à supprimer la moindre cause probable de maladie ou d’épidémie, et donc, je fais ce boulot, pour moi et moi seule. Je ramasse les cadavres abandonnés, je les ramène près du temple d’Inari, nettoie un peu les corps, récupère parfois des trucs, et je prends leur visage en photo, parfois même des tatouages ou des signes distinctifs qui pourraient servir à les identifier un jour. Je tiens un registre précis et j’essaie de noter tous les détails possibles, la cause de la mort si elle est claire et facile à deviner, souvent elle l’est trop, et pour finir je les enterre au cimetière et je plante une planche avec un numéro près de chacune des tombes.
Ma vie était loin d’être facile, mais de cible confirmée je suis devenue une cible éventuelle. Pas mal, hein?