Un mois... Cela fera maintenant un mois et quelques sabliers que le monde avait subi son changement le plus brutal : Les adultes avaient disparu.

Mais qu'est-ce qu'un adulte précisément ? Un majeur ? Un mature ? Un fondateur de famille ? Akemi n'en avait pas la moindre idée, et le fait de pouvoir encore fouler le sol d'une ville devenue entièrement mineure lui faisait se demander ce qu'était la raison d'un tel bouleversement ? Non pas que ses parents lui manquent, loin de là, ni même son employeur ou ses clients, mais on se retrouve du jour au lendemain prisonniers d'une ville dont la plupart de ses habitants n'existent plus. Aucune preuve vivante de l'existence de ces gens y subsistait. Dingue ! Et personne ne se pose la question ? Tanaka était-il le seul fou à lier cherchant une explication logique à ce bazar depuis que le cadavre de sa propre mère s'était évaporé dans la nature ?!

Surement... De toute façon ces questions ne sont là qu'un maigre résumé de l'état d'esprit du garçon d'il y a un mois. A présent ses pieds touchaient le sol d'asphalte d'un autoroute quelconque et rien dans son champ d'action n'éveilla un quelconque intérêt chez lui. Oui, la ville a bien changé et alors ? Il faut s'y adapter pour survivre, l'être humain a toujours fait ainsi pour que son espèce subsiste face à l'environnement. Cette pensée réveilla d'ailleurs le souvenir de cet autre garçon qui souhaitait quitter Akashiki pour, sans doute, retourner à une vie normale et/ou retrouver ses parents chéris. Par simple curiosité, l'enfant de lune avait tenté l'expérience aussi malgré le brouillard bien épais situés aux frontières. Le résultat fut sans appel : Quoi qu'il arrive, quel que soit le chemin que vous choisissez de prendre, vous finirez toujours par revenir sur vos pas automatiquement. Désespérant...

La voie routière possédait toutes les qualités pour une attaque en embuscade. Tana n'avait pas la moindre raison de marcher en plein milieu du chemin, se rendant bien visible pour quiconque pillard voudrait l'attaquer. Pas de chance pour les petites brutes, sa forme physique est plutôt bonne donc il n'allait surement pas se laisser faire. Quelques fourchettes et couteaux de mauvaise qualité se trouvaient dans ses poches, au cas où. Le jeune homme ne possédait aucune qualification pour maitriser un art de combat, juste un esprit à toute épreuve et un mental calme comme l'eau d'un lac isolé. Toutes ces qualités lui suffisaient pour ne pas se sentir menacé dans un tel environnement, où un sniper bien entrainé pourrait marquer le front de l'albinos d'un joli "The End" en lettres de sang. Aucune inquiétude ne s'affichait sur son visage. Juste des yeux rouges portant une expression bien fade, las de poser son regard vermeil sur la désolation du paysage.

Le vent souffla. Enfin plutôt une brise, nous ne sommes pas encore en période de tempêtes, cyclones et orages, même si ce genre de météo correspondrait totalement au danger de la situation qui allait bientôt arriver. Ce souffle fit claquer légèrement le col de sa chemise blanche, blanche comme sa peau, ce qui lui faisait penser à son choix de vêtements, se disant qu'il aurait pu en choisir de meilleurs. Certes, un jean sombre et une chemise claire lui offraient une capacité de mouvement optimale, n'étant que supposément très peu entravé par de possibles obstacles. Sauf que, même si cette tenue a pu faire ses preuves lorsque le chevelu d'argent travaillait de pair avec les gangs des rues, la discrétion apportée par ces bouts de tissu était loin d'être optimale bien au contraire.

En parlant de discrétion, voila que le cri d'une jeune fille se fit entendre. Finalement, il semblerait que se soucier d'une telle chose soit inutile pour certaines... Mais ce cri fit se retourner le garçon vers sa source, se trouvant selon ses oreilles derrière lui à une distance moyenne. Pourquoi cette dépense d'énergie dans ses cordes vocales ? Était-ce destiné à lui ? Non pas vraiment, cette inconnue sprintant à travers l'autoroute ne se dirigeait visiblement pas vers l'albinos. Alors qui ? Bah, peu importe. Après tout ce ne sont pas ses oignons...

Mais la voila qui se tourne vers lui pour se retrouver en compagnie de deux molosses avant de dégainer une épée. Sérieusement ? Son apparence frêle, faible et... Blanche lui suffisait pour se mettre tellement sur la défensive ? Ce n'est pas comme si Tana cherchait non plus à la tuer, ou même à l'attaquer, voire à lui demander son nom. Serait-ce ses yeux rouges qui lui donnent cette impression ? Tant de questions pour moi... Pour "moi", car notre enfant ici présent ne semblait même pas s'en soucier de l'an 40 concernant la raison d'un tel comportement. C'est vrai qu'il en a l'habitude, qu'on cherche à lui faire du mal ou qu'on se méfie de son regard inexpressif de sang. Au final peut-être que ce présent n'avait pas grand chose de différent si on le compare au passé.

- Fais attention avec ton épée, tu risques de te blesser. ~♫

Voila que se pointe un nouvel énergumène : Cheveux verts, yeux jaunes et une tenue de jeune dandy anglais décontractée. L'absence de cravate n'empêcha point Tanaka de rapidement l'identifier comme quelqu'un d'important, sans doute à cause de ses chaussures en cuir, dont seuls les adultes travaillant dans un milieu où l'apparence compte plus que leurs compétences portaient autrefois. Et puis cette confiance, cette moquerie... Soit la folie ronge son cerveau, soit il n'a pas perdu de temps au cours du mois chaotique.

Le jeune Akemi regarda la scène sans se sentir concerné par la situation, aucune surprise ne traversa son visage dont on ne pouvait y lire pas grand chose depuis le début de l'acte. Son seul et unique mouvement durant cette pause fut d'introduire le pouce de sa main droite dans la fente qui lui servait de poche de son jean, offrant une posture relativement décontractée aux deux autres comme pour leur montrer que "je n'ai rien de dangereux, discutons poliment !"

Comme si l'apathique voulait perdre son temps à leur parler. Non pas qu'il ressentit de la peur ou une quelconque envie, mais l'idée même de discuter avec des inconnus le répugnait presque. Entre cette jeune fille qui, sans même chercher à comprendre dégaine son arme, et l'autre qui se la raconte "chef de gang", l'enfant de lune les avaient déjà jugés comme étant deux grosses pertes de temps monumentales qui n'auront rien à lui faire gagner d'autre que quelques raisons de plus pour rester solitaire.

Quelle innocence elle avait cette fille, poser comme ça une question pareille à deux garçons. Certes elle portait un katana pour se défendre, mais dans le contexte actuel elle se trouvait face à deux mecs et sans aucune loi pour la défendre. La déduction fut rapide : Soit elle est idiote, soit elle est assez forte pour s'occuper de deux jeunes hommes sans transpirer. Or, la présence de sa garde rapprochée était loin d'être une idiotie, mais la robe lui...

L'autre se présenta d'une manière trop chic pour être naturelle. Une révérence, rien de plus superficiel quand un homme se trouve en face d'une femme. Dans le monde réel de la réalité véritable on se présente ainsi afin de manifester son respect envers son interlocuteur, ici ça ressemblait juste à du cynisme selon l'enfant de lune. Peut-être voulait-il vraiment séduire ? Ou, plus sérieusement, faire baisser la garde de cette fille et ses deux chiens ? En tout cas cette situation prêtait à sourire, comme si des hommes qui utilisaient encore les anciennes conventions dans un monde dévasté pouvaient encore exister ! Akemi n'était pas si naïf que ça. Il savait parfaitement que les manières n'existent que pour flatter l'adversaire, les adultes ne cherchant que conflits via des moyens sophistiqués afin de ne jamais éveiller les soupçons.

A partir de ce moment-là, le jeune vampire éprouva une méfiance énorme envers le dénommé "Yu Tsuboi", comme envers toute personne roulant des mécaniques cherchant à le séduire par de belles pirouettes au lieu d'exprimer de la franchise.

Mais ce type ne semblait en avoir rien à faire de lui (vraiment ?), ce qui l'arrangeait presque. Se faire ignorer et écarter ainsi ne le blessait point. Déjà car il n'aura pas à répondre à la fameuse interrogation, mais aussi car il pourra peut-être trouver le bon moment pour reprendre sa route et les laisser roucouler ensemble. Tanaka ne se souciait point du sort des deux inconnus, elle possédait de quoi se défendre visiblement, malgré un stress apparent, et il affichait une telle confiance en lui de part sa voix chantante que ce ne serait qu'une perte de temps de se demander s'il s'en sortira vivant. Reprenant une pose neutre, le fantôme continua de les examiner avant de scruter les environs. Ce vide le déprimait presque, si il avait encore de quoi déprimer maintenant, ce qui chuta ses yeux vers les deux molosses.

En cet instant, ces deux chiens captivaient toute sa concentration. Pendant une seconde l'idée de leur caresser la tête lui traversa l'esprit, avant de se dire que cet acte ne serait pas raisonnable vu leur agressivité. Ils sont surement entrainés pour contre-attaquer face à toute forme d'agression, aussi minime soit-elle. Pourtant l'albinos se baissa, pliant ses genoux, afin de se retrouver à hauteur des animaux. Balançant sa tête vers le côté gauche, il se demanda alors quelle age ils avaient, se demandant d'un coup si la providence ayant supprimé tous les adultes de la ville avait touché aussi les animaux...

C'est en passant nonchalamment une main sur le crane de l'animal le plus proche qu'Akemi entendit le nom de leur propriétaire : "Manaka". Il ne faisait certes pas attention à tous les détails de la discussion, mais toute information importante restait gravée dans sa tête. Pour ce qui sont des moqueries de l'autre garçon, c'est là toute une autre histoire.

Utilisant à présent ses deux mains pour cajoler celui qui était devant lui, il ne tenta rien de plus que le strict minimum en matière de caresses. Cela faisait bien trop longtemps que le vampire n'ait pas eu d'interaction avec un chien, un chat ou tout autre espèce non-humaine. Ce petit contact créa en lui un sentiment de manque, une tristesse légère qui arqua ses invisibles sourcils vers le haut pendant une courte seconde. Les limites du supportable se franchissaient au fur et à mesure, le garçon utilisant des mouvements de plus en plus vigoureux... Jusqu'à ce qu'un léger grognement, sans doute de mécontentement ou d'agacement, le fasse sursauter. Ce fut là sa dernière seconde de bulle, stoppant son activité pour l'instant.

Tournant alors son visage vers les deux tourtereaux, la troisième roue jugea alors qu'il fallait mieux se relever afin de ne pas leur offrir de fausses interprétations quant à son état d'esprit ou sa personnalité. Non il ne courbera jamais l'échine face à un tiers, ni même se rabaisser, même si la personne en face était un roi ou une reine. Loin de là la question de l'honneur ou de la fierté, mais il n'y a même pas un an que tous les enfants de la ville n'étaient que des types dont personne ne faisait attention. Ils ne sont tous que des jeunes, aimant vagabonder dans les rues et écouter un bon .mp3 pour dépenser leur argent de poche. Ce n'est pas la disparition de tout symbole d'autorité qui allait changer la vision du monde de notre vampire ici présent : Là il parle à deux mineurs comme lui, à la seule différence que Tana a toujours vécu sans adultes pour lui indiquer où poser ses pas. Sans adultes, ni personne d'autre.