| Ce que vous avez fait avant la disparition des adultes : Ce que je faisais avant la fameuse disparition des adultes ? Oh, trois fois rien, juste tenter de survivre comme je le pouvais, depuis que j'ai été abandonnée par mes géniteurs. Vivre dans la rue en étant malade, c'est moins facile qu'on ne peut l'imaginer. Vous aurez beau tenter de visualiser la chose, à moins de la vivre, vous ne pourrez jamais savoir ce que c'est. Non seulement on tente d'éviter les types louches, mais en plus, lorsqu'on est comme moi, on tente d'éviter les autres également. Eh oui, je suis un danger pour n'importe quel être vivant lambda, car je suis schizophrène. C'est pour ça d'ailleurs que je vis dans les rues, me cachant le plus possible et évitant soigneusement les autres. J'ai failli tuer mon petit frère en bas-âge en essayant de lui fracasser le crâne avec son hochet. J'avais quoi … Six ans ? Je ne supportais pas de l'entendre brailler. Je ne supportais plus que nos parents soient toujours au petits soins avec lui, me laissant de côté. Jusqu'à cet âge-là, ma maladie était légère, et j'avais un traitement contre elle. Mais à partir de ce jour, j'ai arrêté de prendre les cachets qu'on me donnait. J'ai arrêté d'encaisser les gifles et les hurlements de ma mère quand je faisais quelque chose de mal. J'ai arrêté de fusiller mon père du regard alors qu'il me punissait. En parallèle, je sentais quelque chose monter en moi. Quelque chose qui me comprenait, quelque chose qui compatissait à ce que je ressentais. Puis ce quelque chose est devenu quelqu'un. Je suis devenue un réceptacle pour cette autre personne. Pour moi-même, en fait. Nous étions deux. Nous l'avons toujours été, bien que séparées. Mais aujourd'hui, nous sommes réunies. Je suis réunie avec moi-même. Je suis elle, elle est moi. Et nous faisons notre propre justice, comme nous l'avons toujours fait.
J'avais onze ans lorsque mes géniteurs ont tragiquement succombé à un « accident ». Depuis l'apparition de Lena, l'autre moi, j'étais suivie par des médecins spécialistes, et un éducateur attitré. Ils s'assuraient que j'allais « bien » … Lena m'avait mise en garde contre eux. Et elle avait trouvé un plan pour que nous ne soyons plus séparées. Il fallait que je prenne mes médicaments de temps en temps, pour faire semblant. Et ça avait marché. Puis un soir, le soir de la mort de mes parents, j'étais officiellement allée chez une fille de mon âge, qui avait le même problème que moi. Je faisais semblant d'être son amie, parce que Lena m'avait dit de faire comme ça. Alors je n'ai pas posé de questions. Officieusement, j'ai attendu que mes parents aillent dormir. Je m'en souviens très bien c'était un dimanche. Le dimanche, ils se couchaient tôt. Le pleurnichard qui me servait de frère aussi. Alors j'étais restée dans le jardin, en attendant patiemment. Je savais où était caché le double des clés. Quand j'étais sûre du sommeil des autres, je suis rentrée. Je suis directement allée dans la cuisine prendre le couteau à viande, et je suis montée. Lena m'encourageait. Elle disait qu'une fois débarrassée d'eux, nous pourrions vivre toutes les deux, entre meilleures amies. Que plus jamais un adulte ne nous contrôlerait. Alors je me suis glissée dans la chambre de mon père et de ma mère … et je leur ait tranché la gorge. Une idée de Lena. Elle m'avait dit que le sang empêchait les gens de hurler, quand on les égorgeait. Elle avait vu ça dans une série policière. Lena était le cerveau, j'étais l'exécutrice. Et effectivement, son plan avait marché. Nous jubilions, je m'en souviens encore. La vue du sang me fascinait. Et me transcendait. J'avais hurlé de rire, réveillant mon frère. Il avait tenté de s'échapper, mais il était plus petit, plus frêle, moins sportif. Il avait toujours été gras. Son visage arrondi m'insupportait depuis toujours. Et j'avais enfin l'occasion de lui faire payer tout ce que j'avais subi à cause de lui. Je l'ai rattrapé dans le jardin, je l'ai fait tomber. Je l'ai pris par ses cheveux mi-longs, et je lui ai frappé la tête contre le sol. Une fois. Deux fois. Trois fois. Le sang commençait à couler, et je me mis à rire de plus en plus. Alors j'ai continué, encore et encore. On ne reconnaissait plus son visage, déformé par les coups sur le pavé. Moi, j'étais ensanglantée. Mais heureuse. C'est là que j'ai disparu, emportant le couteau avec moi, en souvenir. Je vivais avec Lena, loin des adultes. Je les haïssais, et j'étais sûre qu'eux aussi. Qu'ils me cherchaient peut-être, peut-être pas. A part mes parents, je n'avais pas de famille, et nous n'avions pas de voisins. Personne n'aurait pu se douter de quoi que ce soit. En même temps, nous vivions en campagne, à quelques kilomètres de la ville. Une dizaine, tout au plus …
Seulement voilà, ni Lena, ni moi n'avions prévu le facteur. C'était la faille au plan. Il avait trouvé les corps et alerté la police. Ils m'ont cherchée. Ils m'ont trouvée, deux semaines et demies plus tard. Ils m'ont posé des questions auxquelles Lena m'avait intimé de ne pas répondre. Puis, un homme en blanc est venu pour moi. Ca a été les années les plus longues de ma vie, enfermée dans cet asile pour les enfants comme moi. La séparation avec Lena a été dure, très dure. Et ma haine grandissant encore pour les adultes dépassait les effets de ce qu'ils me donnaient. Piqûres après piqûres, cachets après cachets, je les détestais de plus en plus. Je n'avais plus que ça. Dès que je le pouvais, j'essayais de leur faire du mal. Je voulais les voir saigner. Je voulais les voir s'étouffer et faire ces bruits amusants avec leur gorge qui se remplissait de leur liquide vital. Je voulais voir cette couleur qui me manquait. Rouge passion, rouge haine, rouge sang. Le jour de mes dix-sept ans, j'avais entendu un des types en blouse dire que j'étais au-delà du récupérable, et qu'ils ne savaient pas ce qu'ils allaient faire de moi. Oh, eh bien moi je le savais très bien … Approchez, et vous le saurez, messieurs les médecins. Laissez-moi vous montrer …
Ce que vous avez fait pendant le mois suivant la disparition des adultes : Quelques mois plus tard, ils ne venaient plus. Ils m'avaient laissée dans mon coin. Mais étrangement, ils ne venaient plus me donner mon traitement. Un jour, deux jours … Cinq jours. Ils n'étaient plus là. Seuls les hurlements des autres enfants résonnaient dans les couloirs. J'avais horriblement faim et soif. J'étais en train de perdre la raison. Mais au moins, Lena était revenue. Elle me disait de tenir bon, que j'allais m'en sortir, et que tout allait bien se passer … Et c'est ce qui s'était passé. D'autres enfants sont venus. Ils nous ont libéré, nourri et donné à boire. Ils nous ont dit qu'ils venaient nous offrir richesses et pouvoir. Qu'ils avaient besoin de bras de notre trempe pour s'emparer de la ville. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils voulaient dire, mais ils ont promis du sang. Beaucoup de sang. Lena était réticente, et je ne l'avais pas écoutée. Elle essayait de me dissuader de les suivre, elle ne voulait être qu'avec moi et moi seule. Sauf que moi, j'avais envie de voir cette si belle couleur qu'est le rouge couler sur la peau des autres. Et surtout sur celle des garçons qui me rappelaient mon frère. Je me suis disputée avec Lena, un soir, et elle avait hurlé contre moi. Et elle m'avait frappé, griffé. Alors j'ai répliqué. C'est cette soirée que j'ai perdu mon œil gauche. Je me le suis entaillé à deux reprises à l'aide d'un couteau, sous le coup de ma colère noire. Depuis, Lena s'est calmée. Et elle m'a même demandé de reprendre de temps à autres mes médicaments, afin d'être plus apte à agir dans son intérêt, le mien et celui du groupe auquel j'appartiens aujourd'hui. Elle n'accepte toujours pas mon choix, mais au moins elle ne m'embête plus vraiment avec. Elle m'aime toujours énormément, je crois que c'est pour cette raison d'ailleurs qu'elle ne me crie plus dessus. Elle continue de m'aider, de me servir de cerveau, et moi je continue de lui obéir et d'exécuter ce qu'elle me dit. Bien sûr, si je veux toujours avoir ma dose de rouge et de gargouillis, je dois également écouter ce que les « chefs » ordonnent. Un mal pour un bien. Cela dit, j'étais quand même plutôt libre de mes mouvements et de mes choix … J'étais crainte ? Tant mieux. On utilisait souvent mes compétences pour des travaux salissants, mais également celles de Lena pour des choses qui m'étaient franchement plus frustrantes. Des jobs où je ne pouvais pas tuer, mais où la torture n'était pas forcément exclue … Fort heureusement. Parfois même de simples larcins bêtes et méchants. Mais c'était rare, étant donné ce que je suis. Nos chefs le savent, et me donnent presque toujours ce que j'attends.
Même parmi ceux qui se font appeler Nightmare, je reste l'un des pires cauchemars. Je suis une brute schizophrène assoiffée de sang. Mais je reste frêle, et je le sais. Tout comme je suis trop téméraire. Certaines cicatrices peuvent en témoigner. Rares sont ceux qui trouvent grâce et respect à nos yeux. Je suis aussi froide et vive que la lame du couteau qui viendra trancher tes chairs. Elle est aussi calme et réfléchie qu'une tête de classe. Elle est Lena, je suis Kurumi. Et nous sommes des Nightmares. |